Gestion des droits d’auteur au Cameroun, faut-il en rire ?

Article : Gestion des droits d’auteur au Cameroun, faut-il en rire ?
Crédit:
13 juin 2023

Gestion des droits d’auteur au Cameroun, faut-il en rire ?

Au Cameroun, la protection et la reconnaissance des œuvres originales sont encadrées par des lois spécifiques qui visent à garantir les droits d’auteur. Cependant, la gestion des droits musicaux reste un sujet controversé, marqué par des divisions et des désaccords parmi les ayants droits. La répartition du 13 juin 2023 n’a pas échappé à cette réalité. C’est dans ce contexte complexe que l’artiste Nono Flavy a reçu une somme en guise de paiement de ses droits d’auteur. Une somme qui visiblement n’a laissé personne indifférent.

Depuis le 13 janvier 1791, la loi sur le droit d’auteur est la première loi édictée dans le monde pour protéger l’invention et la création. Au Cameroun, comme dans de nombreux autres pays, les droits d’auteur sont régis par des lois spécifiques qui encadrent et garantissent la protection et la reconnaissance des œuvres originales.

Malgré toute cette organisation, le moins qu’on puisse dire est que la gestion des droits musicaux est loin d’être consensuelle : chaque répartition divise les ayants droits. L’artiste Nono Flavy en sait quelque chose.

Nono Flavy
©Kapew photography

Un paiement qui fait grincer les dents

L’artiste camerounaise Nono Flavy, connue pour ses vingt ans de carrière, ses trois (03) albums et ses prestigieux prix (canal 2’Or), a récemment partagé sur sa page Facebook un reçu de paiement qui a suscité l’ironie. Le montant de 35 000 Frs (53,39€) y est clairement affiché avec la légende : « De qui se moque-t-on ? Vaut mieux en rire. »

Ce reçu de paiement a été émis par la Société Nationale Camerounaise de l’art Musical (SONACAM), en guise de paiement de ses droits d’auteur (07 mois après la dernière répartition). Bien que l’artiste ait choisi d’en rire, cette somme jugée dérisoire a suscité un tollé général, en particulier auprès de ses fans et ses collègues. Dans ce contexte, il est opportun d’expliquer la répartition des droits d’auteur telle que pratiquée au Cameroun.

Reçu de paiement
© Nono Flavy

Cadre légal des droits d’auteur au Cameroun

Les entreprises se conforment aux obligations liées aux droits d’auteur en versant des redevances aux sociétés de gestion des droits d’auteur, également appelées sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD). Ces sociétés jouent un rôle essentiel en permettant aux auteurs d’exercer collectivement la gestion de leurs droits. Elles agissent en tant qu’intermédiaires entre les auteurs et les producteurs d’œuvres soumises au droit d’auteur, facilitant ainsi l’exercice effectif des droits par les auteurs et favorisant l’utilisation légale des œuvres en centralisant leur gestion.

En rassemblant la gestion des droits au sein d’une structure centralisée, les sociétés de gestion des droits d’auteur permettent un traitement rapide et uniformisé des procédures juridiques liées à l’exploitation des œuvres par des tiers. Le Cameroun compte 06 (six) sociétés civiles de gestion des droits d’auteur mandatées par l’État.

  • Arts audiovisuels et photographiques
  • Littérature et arts dramatiques
  • Cinéastes et des photographes
  • Arts plastiques
  • Droits voisins
  • Arts musicaux

Ces dernières font office d’Agents de collectes et de payeurs des ayants-droits, elles jouent également les arbitres en quelque sorte, entre les créateurs et les sociétés assujetties aux paiements des redevances audiovisuelles.

Si les taxes audiovisuelles de certains créanciers sont forfaitaires, d’autres, quant elles, sont calculées au prorata des valeurs de leurs patentes, en d’autres termes, selon leurs chiffres d’affaire.

Qui passe à la caisse ?

Les hôtels, les restaurants, les sociétés événementielles, les boîtes de nuit, les cabarets, les plateformes d’exploitations et de distribution de toutes formes de créations digitaux etc s’acquittent de leurs redevances audiovisuelles auprès de la Sonacam. Une fois perçues, ces redevances sont par la suite distribuées aux ayants-droits. C’est ainsi que sont organisées les collectes et les répartitions des droits d’auteur au Cameroun.

Lire : S’acquitter des droits d’auteurs

© iwaria

Si tout est si bien régulé, qu’est-ce qui coince ?

Contre toutes attentes, c’est au niveau du plus gros payeur : l’État Camerounais à travers sa chaîne de télévision nationale (CRTV) que ça coince. En effet en 2021 il accusait des aérés de 04 (quatre) ans d’impayés de ses redevances audiovisuelles. Une dette estimée à plus d’un milliard de Frs (soit près de deux millions d’euros) qu’il solde encore par tranche jusqu’au moment où je rédige cet article. Ce qui, techniquement, voudrait dire qu’il cumule d’autres dettes pendant qu’il solde certaines chez le même bailleur. Évidemment il n’est pas le seul mauvais payeur.

Les entreprises concernées semblent ne pas vraiment comprendre l’importance d’une taxe de redevances audiovisuelles. Résultats : beaucoup ne passent pas forcément au guichet. Et les sociétés de gestion nationales des droits d’auteur semblent manquer de véritables moyens de déploiement et de persuasion pour mener à bien leur mission de collectes. Elle se trouve dans l’incapacité de procéder aux réparations trimestrielles. Elles se font de manière tout à fait aléatoire : elles vont d’une période de 06 (six) à 09 (neuf) mois.

Pourquoi ces inégalités observées dans la rétribution ?

Sur la question des inégalités des rétributions, il faut savoir que dans la catégorie B (art musical), les ayants-droits n’ont pas les mêmes statuts par conséquent ils ne peuvent pas prétendre à une rétribution équitable. En effet il y’en a une pléthore de statuts : ça va de l’auteur, du compositeur, de l’interprète, du Producteur et éditeur phonographique etc. Ajouter à cela, la balance de productivité et du déploiement de certains ayants-droits, qui fait deux poids deux mesures avec les autres sur la balance. Tout compte fait, il est évident, une fois de plus, que les rétributions, ne sauraient êtres équitables. Il est également important de souligner que tous les membres ne perçoivent pas forcément des versements. Le plafond est toujours à moins de 30% (à moins que ce soit rotatif, ce qui ne serait pas moins regrettable).

Bibiane Sadey.
© Boob’s sidibé

Ces paiements aléatoires qui faussent les calculs

Tout d’abord l’État Camerounais (encore lui) qui, je le rappelle, est le plus gros client des redevances audiovisuelles, non seulement cumule des dettes, mais encore, il les solde en monnaie de singe (au compte-goutte) et de manière aléatoire, en suite, les sommes versées sont tout aussi aléatoires et relativement dérisoires (puisqu’elles sont divisées par le nombre de sociétés de gestion collective). La liste des ayants-droits-membres de la Sonacam, elle, grossie à chaque répartition. Difficile donc dans ces conditions de planifier et de garantir des sommes et des dates de paiements précis aux ayants-droits.

Au regard de tout ce qui précède doit-on rire de la somme perçue par Nono Flavy ?

OUI !

Parce qu’il va sans dire qu’au regard de son parcours artistique et de la couverture médiatique dont fait l’objet chacune de ses actualités musicales, cette somme est vraiment ridicule et risible. En plus il est du ressort de la Sonacam de trouver des voies et moyens pour élargir la liste des clients et ainsi, grossir les portes-monnaie de ses sociétaires voire réduire considérablement les délais des répartitions qui avoisinent tout de même une année (neuf mois). Le préjudice est tout aussi énorme que ces délais.

NON !

Cette situation n’est vraiment pas risible, au contraire, elle est à prendre très au sérieux. Elle devrait être une sonnette d’alarme notamment pour l’État. Lui qui est garant des biens de tous ses citoyens vivants sur et en dehors du territoire national, ne devrait pas être cité en premier dans une affaire de paiement des droits aussi sensibles et essentiels que sont les droits d’auteur. Il est incompréhensible que des créateurs qui peinent encore à s’en sortir dans un contexte où l’industrie culturelle est encore dans sont état embryonnaire, où ce sont encore les organismes internationaux qui font vivre le spectacle vivant a travers quelques projets ici et là, touchent des sommes aussi dérisoires. Encore que Nono Flavy est loin d’être la seule à touché une somme aussi minable. Sur le site de la Sonam on peut lire que les répartitions ont été de 5000 Frs (moins de 10€) à 5 000 000 (7614,42€). C’est tout de même déplorable !

Un champ d’action réduit également l’épaisseur du portefeuille

Au regard des listes des payeurs qu’elle brandit sur son site internet, la Sonacam ne semble se focaliser uniquement sur la Crtv et le GICAM (Groupement Interpatronal du Cameroun) et assurément quelques clients mineurs nationaux malheureusement tout aussi mauvais payeurs les uns que les autres.

Et pourtant, il existe une pléthore de plateformes digitales, traditionnelles, internationales qui diffusent régulièrement les contenus de ses sociétaires auprès desquelles, elle pourrait procéder aux collectes via des partenariats ou tout autres moyens dissuasifs légaux (aucun responsable de la Sonacam joint par mes soins n’a souhaité répondre à mes questions).

Petit Pays.
©Maiva images

Des responsabilités partagées

La Sonacam comme toutes les autres sociétés de gestion des droits d’auteur devrait faire l’objet d’un audit scrupuleux pour comprendre la provenance de ses lacunes dans la gestion pour justement améliorer sa gestion. L’État, à travers le ministère de la culture, devrait mettre tous les moyens nécessaires à la disposition des sociétés de gestion collective pour améliorer leurs rendements. Même si son rôle régalien est la perception et la répartition des droits d’auteur aux ayants-droits, il y va également de son ressort de soutenir la création, la mobilité et toutes types d’assurances à ses membres. Comment y arrivera-t-elle si les collectes et les répartitions sont, pour le moins problématiques ? En attendant, contrairement aux 03 (trois) précédentes sociétés de gestion de l’art Musical, espérons que l’État n’attende pas une énième dispute à la Sonacam pour lui retirer l’agrément (comme par le passé) et ainsi, à ses activités, y mettre… Un Point Final.

Étiquettes
Partagez

Commentaires